Un Carnet de bal

Un Carnet de bal

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Julien Duvivier est un réalisateur qui sait s’entourer pour mener à bien ses projets, nous l’avons bien vu avec La Belle Equipe. Sa manière de diriger des monstres sacrés du cinéma français, Jean Gabin en tête, est poussée ici à l’extrême dans un genre de film qui s’y prête parfaitement : le film à sketches. En effet, UN CARNET DE BAL est souvent considéré comme le premier film à sketches de l’histoire. Un format qui permet au réalisateur d’étaler un casting hallucinant d’une ampleur rarement vue dans le cinéma français. Le risque, bien réel, était pourtant de se complaire dans cet étalage ; une erreur soigneusement évitée par la maîtrise d’un metteur en scène décidément fascinant.

Alors bien sûr et c’est quasiment inévitable, tous les sketches ne sont pas aussi réussis les uns que les autres. Mais le fil conducteur mis en place parJulien Duvivier permet d’obtenir une cohérence nécessaire et un rythme bien construit, à partir d’un postulat très simple : une veuve repense à ses anciens partenaires qu’elle a connus lors de son adolescence à un bal, et cherche à savoir ce qu’ils sont devenus. Cette veuve, incarnée par Marie Bell, représente tout à fait la fatalité et la tristesse qui caractérisent le cinéma de Julien Duvivier. Et le réalisateur de mettre en scène une galerie de personnages marqués par la vie, au psychisme perturbé mais toujours attachant, dans plusieurs histoires distinctes mettant en vedette des célébrités impliquées et toujours fort bien dirigées par Duvivier.

Servis par un récit d’une noirceur étouffante réservant un triste sort aux anciennes illusions de jeunesse des personnages, les Fernandel, Harry Baur, Raimu, Pierre Blanchar, et autres talents, vaudraient à eux seuls le visionnage. Mais ce serait oublier la puissance du cinéma de Julien Duvivier. Dans ses récits, tout d’abord ; la désillusion et l’échec sentimental sont les maîtres mots d’un film sans concession, à la noirceur décidément très marquée jusqu’à une scène finale sublime. Se permettant d’adapter sa mise en scène à chaque situation, le réalisateur passe d’une séquence au classicisme bien pensé et assumé à une caméra oblique traduisant la vie médiocre d’un personnage, toujours avec le même succès. Un procédé qui peut paraître too much en 2015, mais qui se pose comme une preuve de la modernité du cinéaste si on le recontextualise.

L’ambiance si particulière d’ UN CARNET DE BAL, ses dialogues ultra-soignés, son hétérogénéité thématique et sa profonde intelligence en font clairement un incontournable du Festival Lumière, et une énième claque de la part d’un metteur en scène primordial dans le paysage cinématographique français. Par un scénario aux petits oignons et une atmosphère d’une beauté sidérante, Duvivier s’approprie chaque genre avec une facilité déconcertante. La marque d’un grand auteur, à n’en pas douter.

notre critique, sur Le Blog du Cinéma