La bandera

La bandera

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Le Secret de tournage précise tournage au Maroc. Il s'agit bien sûr du Maroc espagnol, où était basée la Légion étrangère espagnole, alors commandée par le général Franco (c'est d'ailleurs depuis le Maroc qu'il commença cee qui aboutit à la guerre civile espagnole. A l'origine, les copies du film comportaient d'ailleurs un carton de remerciements envers la Légion espagnole, et plus particulièrement son chef, le général Franco, pour avoir facilité le tournage. Carton qui disparut par la suite...
Par ailleurs, le film fait une part à un "mythe " romanesque alors à la mode : celui de la Légion étrangère (même si ici elle est espagnole et non française) , ses membres au passé parfois mystérieux, et ses "épopées" plus ou moins exotiques :ce film, Un de la légion, Beau Geste (qui n'est pas un film français, mais ça ne change rien), et bien d'autres, sans oublier la chanson Mon légionnaire ("il sentait bon le sable chaud"...).

l’audace formelle de Duvivier se manifeste à plusieurs reprises : on se
souviendra longtemps de la scène de bagarre dans le bar où la caméra est
sévèrement malmenée (anticipant ainsi les effets contemporains de shakycam),
ou encore les premiers plans largement influencés par l’expressionnisme
allemand. Il est d’autant plus dommage que l’ensemble du long-métrage
ne soit pas du même niveau. Ainsi la partie qui présente au spectateur
le fonctionnement de la légion est sans doute trop académique dans son
traitement, aussi bien sur le plan formel que thématique. On peut
également regretter le jeu daté de certains acteurs (Robert Le Vigan
apporte avec lui ses tics de théâtre qui passent mal l’épreuve du
temps). Pas de quoi toutefois bouder son plaisir devant ce très gros
succès du cinéma français qui a permis de lancer définitivement la
carrière de Duvivier et de consacrer une bonne fois pour toute Jean
Gabin comme LA star française du moment.

LA BANDERA, aussi appelé La Grande Relève, est le deuxième film restauré deJulien Duvivier projeté au Festival Lumière. Adapté d’un roman de Pierre Mac Orlan, le récit est, une fois n’est pas coutume, d’une noirceur remarquable caractéristique du cinéaste. Suivant un meurtrier « sympathique » traqué par un chasseur de prime jusqu’en Espagne, Julien Duvivier nous offre un film autrement mieux construit et réalisé que son précédent essai, DAVID GOLDER.

Parmi les nombreux atouts de ce film, commençons par le plus évident ; son casting. Dans le rôle principal, Jean Gabin ne sort pas de son domaine de prédilection. Le héros, sympathique loubard au lourd passé qui tente de se racheter et de vivre une vie heureuse, est finement écrit et l’acteur est bien dirigé par Duvivier. D’autant plus que le metteur en scène sait créer l’alchimie entre Jean Gabin et les différents acteurs, qu’il s’agisse d’Annabella ou d’un excellent Pierre Renoir. Cette distribution prestigieuse évolue dans des décors impressionnants, filmés avec élégance et intelligence par le cinéaste. On est bien loin des errements de DAVID GOLDER, et j’en profite pour souligner l’excellent travail de la photographie qui permet à la mise en scène d’être appréciée à sa juste valeur. La réputation de maître technicien de Julien Duviviersemble se justifier, tant en quelques années, il a cerné les bouleversements que le parlant entraîne en terme de découpage et de réalisation ; visuellement, LA BANDERA est un spectacle de chaque instant.

Si la forme est irréprochable, le fond n’est pas en reste. Et l’incroyable noirceur du film ne s’appuie plus sur des personnages caricaturaux mais bien sur une ambiance désespérée, typique des films d’avant-guerre. Il n’y a pas de recherche de morale, pas de bien-pensance, et le film s’apparente à une tragédie dont la fatalité nous semble inévitable. Venu pour expier ses fautes et se faire blanchir, Pierre Gilieth n’a aucun projet d’avenir, si ce n’est celui de survivre le plus longtemps possible. Le personnage est trouble, et l’appellation de film noir est tout à fait méritée pour un film qui dresse un portrait aussi brut politiquement et socialement de la vie d’avant-guerre. Alors certes, on a parfois l’impression que Duvivier nous assène un discours pessimiste un peu forcé, que le trait est volontairement exagéré et cela peut rebuter, mais il serait dommage de passer à côté d’une telle construction d’ambiance pour ces petits détails.

Julien Duvivier fait en quelques années le grand écart entre un DAVID GOLDER franchement brouillon et ce LA BANDERA maîtrisé de bout en bout, d’une efficacité implacable et bénéficiant d’une restauration exemplaire. Dirigeant ses acteurs avec intelligence, il dresse un portrait moral très ambigu et nous perds dans un labyrinthe de noirceur aidé par une photographie exemplaire. Si le cinéaste a si vite apprivoisé l’outil parlant, il me tarde de voir ce que donneront ses prochains films, dont les plus réputés bénéficient d’une même restauration durant le festival Lumière.

notre critique, sur Le Blog du Cinéma